"La fête de Mithra"

de Claude Picher (article de La Presse)

On a souvent déploré le caractère commercial trop souvent attaché, hélas, à la fête de Noël. C'est à se demander si la véritable signification de Noël, qui devrait être en principe une occasion de partage et d'amour, ne serait pas en train d'être noyée dans le mercantilisme et les agressions des gourous du marketing!

Et pourtant...

Sans rien enlever au caractère spécial de Noël, nous devons bien constater que si nous fêtons, précisément le 25 décembre, c'est à cause d'une des décisions de marketing les plus géniales de l'histoire! Personne ne connaît la date exacte de la naissance de Jésus. On peut seulement présumer de la date de sa mort, qui, selon certains érudits de l'Antiquité, se serait produite un 25 mars.

UN DIEU VENU D'IRAN

Mais pourquoi donc fête-t-on sa naissance le 25 décembre?

C'est un peu beacoup à cause du dieu iranien Mithra!

Mithra apparaît dans l'histoire bien avant le christianisme. Cinq siècles avant Jésus-Christ, les rois de Perse juraient par Mithra. Ce n'était pas, contrairement à d'autres dieux orientaux, un personnage sanguinaire, mais un dieu de lumière, de justice, de bienveillance, de prospérité. Au premier siècle de notre ère, des soldats romains stationnés aux confins orientaux de l'Empire sont séduits par ce dieu aux allures si sympathiques, et propagent son culte. Adapté aux goûts du monde romain, le mithraïsme se développe à une vitesse incroyable à l'intérieur des frontières de l'Empire. A son apogé, le mithraïsme a des temples de la mer Noire à la mer du Nord, de l'Atlantique au Moyen-Orient. Au troisième siècle, le mithraïsme avait pris une telle importance, surtout dans les milieux militaires et aristocratiques, qu'il est même passé à un cheveu de devenir la religion officielle de Rome. Mais voilà: tout le monde sait qu'au troisième siècle, le mithraïsme n'était pas la seule religion dans le monde romain. Le christianisme, après avoir survécu aux persécutions des premiers siècles, se développait alors avec une vigueur exceptionnelle. Evidemment -et bien que les deux religions se soient influencées mutuellement (les mithraïstes romains se réunissaient dans leurs temples pour prendre du pain et du vin lors de repas communautaires)-, il s'agissait bel et bien des deux religions rivales. Ernest Renan, un des grands historiens des religions, a pu écrire que si la croissance du christiannisme avait été stoppée à cette époque, nous serions peut-être tous mithraïstes aujourd'hui!

POPULARITÉ ET DÉCLIN

Une chose, en particulier, tracassait les autorités écclésiastiques: l'immense popularité de la fête de Mithra. On retrouve dans l'histoire des religions beaucoup de fêtes reliées au solstice d'été (21 ou 22 juin), le jour le plus long de l'année, et au solstice d'hiver (21 ou 22 décembre), le jour le plus court. Les romains ont toujours célébré le solstice d'hiver avec beaucoup d'éclat: fêtes, distributions gratuites de vivres, échanges de cadeaux; on libérait les esclaves de leurs tâches habituelles, et, pendant une semaine, ils avaient la même liberté que leurs maîtres. Les mithraïstes participaient activement à ces festivités, qui culminaient le jour de la fête de Mithra, le 25 décembre. C'est précisément pour contrer l'effet dévastateur de ces fêtes païennes que l'église adopte le 25 décembre pour célébrer la naissance du Christ. Avec le succès que l'on connait. La fête de Noël se répand rapidement. On sait qu'elle a été officiellement célébrée à Rome en 336, mais tous les historiens s'entendent pour affirmer qu'elle remonte à une bonne trentaine d'années plus tôt, sinon plus. Avec l'essor du christianisme, Noël est fêtée partout dès la fin du siècle. Quant au mithraïsme, il s'éteint définitivement aux alentours de 400. Certes, la décision de l'église de récupérer le 25 décembre, fête païenne, pour en faire une des grandes fêtes chrétiennes, n'explique pas à elle seule le déclin rapide du mithraïsme. Un bref regard sur les deux religions nous permet de comprendre que, Noël ou pas, le mithraïsme avait peu de chances face au christianisme.

ÉLITISME

Religion élitiste, mystérieuse, pratiquée en petits groupes d'initiés (pour être accepté, il fallait subir sept niveaux d'initiation différents), réservée aux hommes, le mithraïsme n'avait ni le dynamisme, ni la ferveur, ni la simplicité, ouvert à tous. Le mithraïsme attirait des officiers, des sénateurs, des hauts fonctionnaires, des aristocrates, et même certains empereurs. Mais il n'a jamais vraiment réussi à s'implanter auprès du vrai monde. Et s'il a atteint une telle influence, c'est à cause de la puissance et de la richesse de ses membres initiés, qui par ailleurs se montraient d'une grande générosité à l'occasion du 25 décembre (d'où, en partie, la grande popularité de Mithra). Constatons quand même que le choix du 25 décembre a été fait pour diminuer cette popularité, et que ce choix a contribué au déclin du mithraïsme. Aujourd'hui, on appelerait ça un superbe coup de marketing... Cette anecdote n'enlève rien au sens profond de la fête de Noël, dont le message de paix est toujours vivant aujourd'hui. S'il est une nuit dans l'année où les questions matérielles doivent s'effacer devant des valeurs plus spirituelles, c'est bien celle-ci.

P.S: de nos jours, les iraniens ne fêtent plus que la nuit du solstice d'hiver, mais l'esprit est resté le même.